Jack Danté avait pu interviewer Jean Giraud alias Mœbius à l’occasion de l’exposition « Moebius trans forme » qui s'était tenue entre octobre 2010 et mars 2011 à la fondation Cartier.
Nous vous la proposons désormais sur Fantasy.fr, afin de rendre hommage à cet artiste culte décédé samedi dernier.
Jean Giraud / Mœbius : En me confondant à la bande dessinée j’ai participé à un mouvement dès ses débuts. J’ai été un de ses acteurs, une de ses figures historique avec le temps. A l’époque le projet était de sortir la bande dessinée d’un territoire sous surveillance parentale, qui faisait parti de l’enfance car lui-même en était à ce stade là. Bizarrement, la bande dessinée qui se veut universelle est cantonnée à trois territoires dans le monde : les Etats-Unis, le Japon et l’Europe francophone. L’exposition montre mon parcours, mais aussi le chemin qu’a pris la bande dessinée durant la seconde partie du vingtième siècle.
Jean Giraud / Mœbius : Ce n’est pas une exception culturelle, c’est une caractéristique culturelle. C’est un système d’expression qui est né et s’est développé sans être vraiment connu à l’extérieur. En France la BD est liée à une tradition littéraire, donc artistique contrairement au Japon où c’est quelque chose de totalement industriel, la BD cumule les qualités et les défauts de la littérature et des arts plastiques dans la façon de l’aborder et de la décliner. Le milieu de la bande dessinée dans notre pays c’est un peu le village d’Astérix : tout le monde se tape dessus et tout le monde s’aime ! Il y a une émulation féconde mais anarchique. L’inconvénient c’est que cette BD française implose dans un territoire sans jamais en sortir. On n’a aucune de chance de voir une BD française sur des étalages anglo-saxons ou japonais à l’exception de quelques titres. Ce qui fait notre beauté nous empêche aussi de nous envoler et de conquérir d’autres marchés. J’aurai adoré voir un de mes albums édité à un milliard d’exemplaires en Chine ! (Rires)
Jean Giraud / Mœbius : La BD, comme beaucoup de moyen d’expression, est extrêmement sensible à toute évolution technologique. Celle-ci a rendu possible de nombreuses adaptations. C’est même devenu un genre cinématographique en soit depuis dix ans. Quand on voit le dernier Batman, c’est vraiment bien. En France on manque un peu de moyens pour les réussir. Il y a un autre problème c’est que pour nous tout est un héritage du passé, il y a des habitudes de pensée qui perdurent et qui ont tendance à tout alourdir.
Jean Giraud / Mœbius : J’ai beaucoup aimé et j’ai eu un grand plaisir à connaître Jan et à apprécier son travail. On n’a pas eu la chance d’avoir le succès escompté. Parfois quand on voit les films qui marchent, les bras nous en tombent et c’est très bien car ça prouve qu’il n’y a pas de recette. La qualité, l’intelligence, la beauté comme la bêtise, la lourdeur ou la démagogie ne sont pas des sésames. Le cinéma ressemble parfois à une loterie.
Jean Giraud / Mœbius : Parce que la science-fiction est toujours à la frontière de la méta-physique et le western met en scène le choc d’une civilisation matérialiste face à une civilisation spirituelle, les deux sont des choses qui ont infusé fortement en moi. Dans les années 1960 j’ai découvert que les indiens ce n’étaient pas seulement un nuage de sauterelles qui attaquaient des caravanes, mais une civilisation. Je suis allé en Amérique découvrir les indiens et leur mode de vie. Dans le même temps je m’intéressais beaucoup à la magie, à l’ésotérisme. C’est quelque chose qui est relié au dessin car c’est quelque chose d’assez magique et quand je dessine je peux entrer dans un état de transe légère. Je l’ai ressenti plusieurs fois sans vouloir l’exploiter de manière professionnelle. Ce n’est pas un ressort dans la création de l’image même si ça a pu apparaître par moment et particulièrement dans les années 1980 où j’ai beaucoup dessiné d’extraterrestres. Ils étaient représentés plus comme des anges qui viennent pour que l’on se reprenne en main plutôt que comme des destructeurs.
Jean Giraud / Mœbius : Ils m’ont demandé de participer au second film, mais je n’avais pas le temps alors j’ai été forcé de dire non. Je ne l’ai pas encore vu, mais je suis récemment retourné à Los Angeles où j’ai croisé Steven Lisberger, le réalisateur du premier Tron, qui avait fait appel à moi. Ça a été un plaisir de le retrouver, mais pour lui Tron a été une malédiction du fait que le film ait été un échec mais soit considéré comme un grand concept, c’est un peu le pêché majeur à Hollywood : louper un film avec un tel potentiel. Ça a été un peu la même chose pour Blueberry qui est sorti le même jour que Podium, le film sur Claude François, on n’avait aucune chance ! (Rires) Le rival de Tron à l’époque était E.T. de Spielberg, c’était un sérieux client !
Jean Giraud / Mœbius : Je fais rarement des œuvres à thème. Je ne fais pas l’analyse d’une situation présente pour en faire une représentation dans le futur. Ce que j’aime dans la science-fiction c’est le jeu purement ludique de l’imaginaire. La littérature de science fiction a créé un imaginaire rêvé parcouru par des vaisseaux, où la téléportation est possible… c’est une grand cours de récréation et quand on passe un moment dedans il y a des tas d’histoires qui en sortent naturellement.
Jean Giraud / Mœbius : Celle avec Jean-Michel Charlier m’a marquée dans le sens où il y avait une collaboration professionnelle, et puis il y a celle avec Alejandro Jodorowsky (scénariste de L’incal) qui m’a marquée beaucoup plus parce qu’il a une personnalité très puissante. Passez une heure avec Jodo et vous n’en ressortez pas indemne ! (Rires)
Jean Giraud / Mœbius : Pas du tout, car même si on prend la non réalisation du film Dune avec Jodorowsky, ça a finalement changé pas mal de destins dont le mien et celui de Jodo. Ça a donné naissance à L’incal, ce qui a mis le pied à l’étrier à Jodo dans la BD et à moi la possibilité de faire une série à la fois populaire - ça a été un best-seller – et avec une grande qualité au niveau du propos. L’arrêt de Dune a aussi lancé Ridley Scott dans l’aventure d’Alien à laquelle j’ai également participé. Au final c’est pas mal !
Joseph Gordon-Levitt et Bruce Willis réunis comme on ne s'y attendait pas.
D'après Stephenie Meyer.